La vallée de l’Yerres est riche en monuments mégalithiques en contact direct avec la rivière. Ces monuments sont les vestiges de la culture Seine-Oise-Marne, considérée comme le berceau de l’âge néolithique en Ile-de-France, entre la fin du IVe et le début du IIIe millénaire avant JC. Cette première forme d’architecture en pierre connue de l’histoire, déjà présente en Bretagne dès le Ve millénaire, apparait ainsi en Ile-de-France, au plus tôt, près de 700 ans avant les premières pyramides d’Egypte.
Les archéologues ont pu établir avec assurance les fonctions de certains de ces monuments qu’ils ont classés en trois principaux types : dolmens, polissoirs et menhirs. Les dolmens se constituent d’une ou de plusieurs grosses dalles de couverture posées sur des pierres verticales qui leurs servent de pieds. Ils étaient initialement recouverts d’un amas de terre et de pierres pour former un tumulus. Les fouilles archéologiques ont permis de définir qu’ils servaient tantôt de sépultures collectives (présence de squelettes), tantôt de monuments funéraires (traces d’offrandes) faits pour être vus de loin, signe d’une volonté d’agencement du paysage. Les polissoirs sont de simples blocs de roche dure rainurés. Là encore, leur fonction est assez claire ; ils servaient à polir les outils en pierre. Les menhirs, quant à eux, sont plus énigmatiques mais la présence de ces artefacts chez la plupart des sociétés néolithiques, notamment sur les bords de l’Yerres, devait soit répondre à des besoins nouveaux, soit répondre à des besoins séculaires mais sous un mode nouveau, mode rendu possible par l’accès à de nouvelles technologies.
L’âge néolithique marque en effet le passage d’une économie de subsistance et de prédation, basée sur la chasse, la pêche et la cueillette, à une économie de production, pratiquant l’agriculture et l’élevage. Avec la domestication des animaux et des plantes, les sociétés se sédentarisent de façon permanente et peuvent se concentrer sur de nouvelles techniques telles que la charpenterie et la maçonnerie (construction de villages), les bases de l’ingénierie (conception et conduite de chantiers), la traction animale, l’araire et le tissage du lin et de la laine, ou en améliorer d’autres telles que la poterie en céramique, nécessaire en grande quantité pour le stockage des récoltes, et le renforcement, par le polissage, des outils en pierre, utiles pour la déforestation dans le but d’exploiter de nouvelles terres fertiles.
Les archéologues ont ainsi émis l’hypothèse que les menhirs pouvaient servir à marquer, voir à légitimer, la possession d’un territoire par un groupe et affirmer son identité culturelle face aux autres. Les ensembles complexes de menhirs, parfois très vastes, comme l’alignement de Karnak (Egypte) ou le complexe de Stonehenge (Angleterre), laissent penser qu’ils pouvaient également avoir d’autres fonctions. De par leur orientation en lien avec le lever du soleil des solstices d’été et d’hiver, ils faisaient sans doute office d’observatoire astronomique permettant de recueillir des données utiles à l’élaboration de calendriers ; mais il est probable qu’ils aient également joué un rôle religieux.
On ne trouve que des menhirs sur les bords de l’Yerres. Ceux qui sont encore en place se trouvent à Courtomer, Vigneux-sur-Seine, Brunoy et Boussy-Saint-Antoine. Ils sont isolés, à l’exception des alignements de Brunoy qui présentent deux des très rares alignements connus en Ile-de-France. Il y en a eu probablement beaucoup plus mais l’agriculture intensive et l’urbanisation ont dû en détruire un nombre considérable. Néanmoins, ces destructions ont aussi eu lieu dès l’époque néolithique. Les destructions volontaires de mégalithes sont en effet attestées à cette période. La question de savoir si leur implantation sur les bords de l’Yerres était délibérée ou au contraire opportune est débattue. Pour J-P Savary (1957) ces menhirs ont été délibérément transportés depuis leur point d’extraction jusqu’à leur point d’implantation, parfois distants de plusieurs kilomètres, car tous ces menhirs sont constitués de grès du Stampien dont le gisement le plus proche se situe en forêt de Sénart. A. Bénard (2012) émet de son côté l’hypothèse que l’érosion de la rivière aurait pu mettre à nu des affleurements de bancs de grés. Les menhirs auraient ainsi pu être extraits et implantés sur place.
La signification de ces monuments mégalithiques s’est progressivement perdue au cours du temps, néanmoins ils ne pouvaient pas passer inaperçus aux yeux des descendants de leurs bâtisseurs ou aux yeux des nouveaux arrivants. Les générations ont veillé, au cours de l’histoire, à interpréter ces monuments en fonction de leurs prismes culturels. Ainsi, les Goths avaient l’habitude de piller les tumulus, voir parfois de renverser des menhirs, pour y déterrer les trésors qui étaient supposés y être cachés. Le christianisme, dans sa volonté de faire disparaitre toute trace de paganisme fut dans un premier temps un grand destructeur de monuments mégalithiques. Dès 452, le concile d’Arles condamne comme sacrilège toute personne allumant des flambeaux ou rendant un culte quelconque près de ces pierres. En 789, un décret de Charlemagne exècre devant Dieu ceux qui leur rendent un culte. Par la suite, l’Église adopte une méthode moins violente en choisissant de les christianiser. Durant tout le Moyen-âge, les populations attribuent aux menhirs une origine biblique (Vierge, saints, géants antédiluviens, Diable…), magique (fées, nains…), voir antique (Romains, Sarrazins…). Cette volonté de leur trouver un sens à parfois donné lieu à des légendes cocasses. C’est durant la Révolution française que les mégalithes sont attribués aux Gaulois. Les révolutionnaires en effet, se réclamaient du « sang pur des Gaulois », population autochtone qui avait subi la conquête des Francs d’origine germanique, conquête sur laquelle se fondait la légitimité de la monarchie française. Ce mythe politique faisait ainsi des mégalithes des temples druidiques. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que des études à prétention scientifique vont voir le jour et permettre de découvrir progressivement que ces monuments sont plus anciens qu’on ne le pensait.
Boussy-Saint-Antoine
La Pierre Fritte
La Pierre Fritte est une dénomination commune de la région. L’expression, tirée du latin Petra Ficta ou Petra fixa, signifie Pierre fichée en terre. Ce menhir est situé sur la rive droite de l’Yerres, à environ 600 m en amont du Moulin de Rochopt. Il mesure 1,85 m de haut, 1,40 m de large à la base et 0,65 m d’épaisseur en moyenne et est orienté Nord-Nord-Ouest – Sud-Sud-Est. Une vieille légende raconte que ce menhir aurait le pouvoir de parler en certaines occasions et qu’une fois il alla reprocher sa conduite trop légère à un homme qui passait par la nuitamment pour se rendre à un rendez-vous galant !
Brunoy
Le gros grès
Situé à environ un kilomètre en amont de la Haute-Borne à la Maistresse, sur la rive droite de la rivière au lieu-dit « Fontaine Bréand ». Il se trouve maintenant couché dans le lit de la rivière, l’eau ayant rongé la berge. Il a plus de 2,50 m de long et au moins 1,80 m de large.
Alignement des Pierres Frittes (Haute-Borne) :
Situé dans la propriété du n°6 de la rue des Vallées, l’alignement des Pierres frittes, orienté Est-Sud-Est – Ouest-Nord-Ouest, est classé comme monument historique depuis 1977. Il comporte sept pierres dont deux apparentes et cinq immergées découvertes en 1988. Le premier menhir baptisé la Haute-Borne à la Maistresse mesure 2,35 m de hauteur et 1,45 m de large à la base, 0,50 m d’épaisseur en moyenne. Une forte crue l’abattit mais il fut relevé en 1865 et son pied consolidé avec un crochet métallique. À quelques mètres se dresse une seconde pierre de 1,45 m de haut, 1,40 m de large et 0,45 m d’épaisseur moyenne. Les pierres immergées ont probablement été abattues au Moyen-âge parce qu’elles gênaient le tracé du bief du moulin de Brunoy.
Alignement des Pierres Frittes (Talma) :
Cet alignement se situe à quelques 100 m en amont du Pont Perronet, sur la rive gauche de l’Yerres. Il est orienté Nord-Ouest – Sud-Est et se constitue de trois pierres levées et d’une autre immergée. Il est représenté sur un vieux plan dès 1480. Les menhirs appartenaient autrefois à la propriété Talma. Le deuxième (2,50 m de haut) et le troisième menhir (1 m de haut) encore debout sont respectivement dénommés « femme et fille de Loth ». Ils font l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis 1889. En 1992, une baisse du niveau de l’eau et des sondages ont permis de dégager le bloc immergé qui forme une table de plus de 5 tonnes gravée de cupules (dépressions circulaires artificielles) protégées des intempéries par l’immersion alors que les pierres aériennes sont détériorées en surface. Les sondages ont également montré que les monolithes sont enfoncés de plus de 1,2 m dans le sol, soit plus de 70 cm sous le niveau actuel de l’Yerres et que par conséquent la pierre couchée l’était dès l’origine ou a été abattue volontairement mais n’a pas été renversée naturellement.
Courtomer
Pierre couvée (ou Pierre couverte)
Situé à 65 m des bords de l’Yerres, ce menhir fait 2,20 m de haut, 2,30 m de large et 0,45 m d’épaisseur. Il serait enfoncé dans le sol sur 1,20 m de profondeur. Il est orienté est Ouest-Ouest-Nord-Ouest – Est-Est-Sud-Est. Une petite niche rectangulaire entourée de sept trous est creusée sur l’une des faces. Cette niche aurait probablement servi d’emplacement pour une statuette, sans doute Sainte-Geneviève patronne de la paroisse, lors de la christianisation du menhir. Il est classé aux monuments historiques depuis 1971.
Plusieurs légendes diverses sont associées au menhir. Selon l’une, la pierre aurait été perdue par Sainte-Geneviève lors de son transport pour la construction d’une chapelle. La tradition la plus courante prétend que l’on ne peut creuser au pied de la pierre car le diable rebouche le trou au fur et à mesure. Cette tradition transcrit peut-être le fait que le sol très sableux est régulièrement nivelé par les eaux de pluie ou lors des crues de l’Yerres. Selon une curieuse tradition populaire, l’Yerres passait autrefois au pied du menhir.
Par Grefeuille — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=45633791
Vigneux-sur-Seine
La Pierre à Mousseau (ou Montceau)
Ce menhir est un bloc de forme presque rectangulaire de 2,35 m de hauteur pour 1,40 m de largeur et 0,70 m d’épaisseur en moyenne. Il est signalé au XVIIIe siècle dans plusieurs actes de l’abbaye de Saint-Germain-l’Auxerrois sous diverses dénominations : Pierre de Monceau(x), Grosse Pierre, Gros Caillou, Brosse Bourne, Bourne. Classé aux monuments historiques en 1889, sa présence gênait des travaux de dragage. Il fut momentanément abattu en 1911 puis rétabli dans sa position primitive. Le nom de « Mousseau » ou « Montceau » correspond vraisemblablement à l’existence ancienne d’un tumulus à proximité. À proximité du menhir ont d’ailleurs été découvertes en 1875 des tombes à cistes néolithiques.
Par X-Javier — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=21756812
Pierre Joubert, scène du néolithique en Europe occidentale.
Sources
- Alain Bénard, Les mégalithes de l’Essonne, t. XXI, Paris, Société historique et archéologique de l’Essonne et du Hurepoix, 2012, 120 p.
- Jean-Pierre Savary, « Mégalithes du bassin de l’Yerres (S.-et-O., S.-et-M.)», Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 54, nos 11-12, 1957, p. 750–756.
- Liste des mégalithes recensés en Essonne : ˂http://cfpphr.free.fr/mega91.htm˃